Centre nantais de sociologie

Soutenance HDR de Marie Cartier: "Classes populaires et emplois de service"

Marie Cartier a présenté son mémoire en vue de l'obtention de l'Habilitation à Diriger des Recherches en sociologie le lundi 30 novembre 2015. Ce mémoire s'intitule: "Classes populaires et emplois de service".

Membres du jury:

- Annie COLLOVALD, professeure, Université de Nantes

- Jean-Noël RETIERE, professeur, Université de Nantes

- Olivier SCHWARTZ, professeur, Université Paris Descartes

- Christian CHEVANDIER, professeur, Université du Havre

- Nicky LEFEUVRE, professeure, Université de Lausanne

- Michel LALLEMENT, professeur, CNAM Paris


Résumé du mémoire présenté en vue de l'obtention de l'Habilitation à Diriger des Recherches en sociologie:
Classes populaires et emplois de service

Par Marie Cartier MCF (UFR de sociologie, CENS, Université de Nantes)


Se situant entre la sociologie du travail et l'ethnographie des classes sociales, les recherches que j'ai menées depuis 2003 suite à mon doctorat combinent l'enquête de terrain et le travail d'archives pour éclairer la diversité interne et les recompositions contemporaines des classes populaires. Alors que les représentations ordinaires, médiatiques et artistiques mettent souvent l'accent sur un monde ouvrier en déclin numérique et déstabilisé par les restructurations industrielles, sur les pauvres et les exclus ou encore sur les habitants des quartiers sensibles, mes recherches contribuent à élargir l'appréhension des classes populaires en attirant l'attention sur leurs fractions stabilisées et non démunies de ressources : petits fonctionnaires ou autres salarié(e)s à statut, petits propriétaires de pavillons, salariées peu qualifiées de la petite enfance. En explorant les conditions concrètes de travail et de vie, mais aussi les perceptions des autres groupes sociaux forgées dans des contacts professionnels intimes, mes travaux montrent contre l'idée d'une « moyennisation » des conditions sociales que ces hommes et ces femmes, tout en participant à l'économie des services, se caractérisent toujours par une condition laborieuse spécifique, faite de bas salaires et d'usure physique et mentale au travail qui les différencie des professions intermédiaires et des cadres. Ces travaux mettent en même temps au jour des formes d'acculturation et d'appropriation de certaines ressources symboliques stratégiques au contact des institutions publiques et des classes moyennes côtoyées au travail et/ou sur la scène résidentielle : socialisation administrative des facteurs de la Poste et des ouvrières des Tabacs, appropriations du droit du travail et de la « culture psy » chez les assistantes maternelles, accumulation chez ces employé(e)s des services d'un capital social diversifié. Depuis une recherche consacrée en 2006/2007 aux ouvrières de l'Industrie d'Etat des Tabacs et à leurs ressources de résistance à la domination masculine, j'ai intégré à mon approche des classes populaires une perspective de genre. La domination masculine et les inégalités hommes/femmes dans l'emploi étant bien documentées, je m'efforce de contribuer à la sociologie du genre premièrement, en explorant les réactions et éventuellement les résistances des femmes peu diplômées à la domination masculine et à la domination sociale et deuxièmement, en réfléchissant, à partir de l'observation des multiples interactions entre femmes de diverses classes ou fractions de classe autour de la garde d'enfants, à la distribution sociale des styles de féminité.

Dans une recherche inédite sur la relation d'emploi à trois termes entre les assistantes maternelles, les services sociaux et les parents employeurs, je montre que si durant les années 1980 et 1990, les assistantes maternelles, ces mères de famille peu diplômées mariées à des ouvriers et des petits artisans, ont manqué de force sociale pour négocier systématiquement avec les parents les détails d'un contrat de travail pourtant rendu obligatoire dès 1977, c'est moins en raison de leur « dévouement » et de leur « vocation maternelle », qu'en raison des normes officielles d'agrément qui les incitaient à n'envisager le salaire tiré de la garde d'enfants que comme un « appoint ». Elles ont aussi réagi à l'encadrement public de leur travail avec un mélange de méfiance et de sollicitation volontaire, caractéristique du rapport des classes populaires des deux sexes aux institutions publiques d'aide et de contrôle social. Tout comme leurs maris ouvriers ou artisans, ces travailleuses, s'appuyant sur la ressource de leur âge et de leur chez soi, ont œuvré à redéfinir les modalités de leur travail et à contrer toute subordination trop explicite. Par contraste avec cette période des années 1980 et 1990 où les assistantes maternelles se résignaient au silence face aux abus des parents employeurs en matière de rémunération ou de temps de travail, le reflux de l'idéologie officielle de la garde d'enfants comme « revenu d'appoint », l'exigence d'un contrat de travail écrit, les heures de formation en droit du travail, la mobilisation collective de la profession sous la forme d'associations professionnelles communales et départementales et le travail de prévention des litiges accompli par les Relais Assistantes Maternels communaux ou intercommunaux ont contribué dans les années 2000 en Loire-Atlantique à doter les assistantes maternelles d'une capacité à prendre la parole et à faire valoir leurs droits. Depuis une dizaine d'années se joue un processus de socialisation salariale de ces mères de famille des classes populaires et d'appropriation du droit du travail dans cette relation d'emploi à domicile. L'autonomie de fait dans le travail liée au cadre du chez soi dont bénéficient les assistantes maternelles se trouve aujourd'hui renforcée par une nouvelle autonomie de gestion de la relation d'emploi. Ces assistantes maternelles qui appartiennent encore majoritairement aux classes populaires même si le recrutement social de la profession se diversifie aujourd'hui, incarnent un style de féminité dont le rôle de mère et la prise en charge concrète, matérielle et affective des jeunes enfants sont des composantes centrales mais s'y ajoutent aussi aujourd'hui une combativité salariale et une conquête d'autonomie économique qui les éloignent totalement du modèle de la « femme au foyer ».

Mis à jour le 02 novembre 2016 - Johanna ROUSSEAU.
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