Projet IUF : Styles de féminités et respectabilité dans les carrières ouvrières féminines en milieu rural

Alors que l’emploi féminin en milieu rural s’est imposé à l’agenda politique, français comme européen, depuis une dizaine d’années, en raison des risques de chômage, de précarité, de pauvreté accentués pour les femmes vivant dans ces zones, le programme de recherche pour cette délégation IUF propose d’analyser les trajectoires de femmes vivant dans des territoires ruraux considérés comme dynamiques - au sein de la région des Pays de la Loire - et passant, au moins pour un temps, par un emploi ouvrier. La méthodologie mixte associera une « quantification ethnographique » (Gros, 2017) des trajectoires de ces femmes mettant en lien les sphères professionnelles, familiales, résidentielles et patrimoniales et un travail monographique sur quatre terrains (textile, agroalimentaire, métallurgie, logistique) permettant de faire varier les taux de féminisation (donc des rapports de genre spécifiques). S’inscrivant dans une approche localisée des rapports sociaux (Bruneau et al., 2018), ce travail cherchera à appréhender les recompositions ouvrières au prisme des rapports de genre, en saisissant les trajectoires individuelles dans un espace social de genre, multidimensionnel, pluriel et hiérarchisé (Beaubatie, 2021b), autant qu’un espace social de classes. Il s’agira de saisir les dynamiques de genre en milieu populaire depuis la scène du travail subalterne, mais aussi, grâce à une méthodologie originale « permettant de surmonter la séparation des lieux » (Avril, Cartier, Siblot, 2019), de saisir en retour la manière dont les autres scènes de vie (domestiques notamment) affectent les dynamiques de genre au sein du travail subalterne. L’enquête explorera ainsi les manières dont le travail ouvrier féminin participe ou non de la construction de formes de respectabilité populaire en milieu rural, en portant une attention particulière aux formes de division sociales et symboliques du groupe ouvrier et au rôle de l’emploi ouvrier dans ces divisions. Croisant les apports de la sociologie du travail et de la sociologie du genre, on s’intéressera à la place occupée par l’emploi ouvrier dans les carrières féminines, ou plus largement dans leurs trajectoires, ainsi qu’aux étapes successives de ces carrières, en portant une attention spécifique à la question de l’accès à la qualification ouvrière (Downs, 2002). Enfin, il s’agira d’interroger la « fabrique » des féminités ouvrières au travail en milieu rural. L’entrée par le travail apparaît en effet féconde pour interroger les féminités (et les masculinités) populaires, tant le travail est à la fois un espace de renforcement des dominations, mais aussi un lieu de réinvention ou de transformation de soi, plus ou moins à distance de la sphère privée.